Apicoltura

Press release

Texte de Juliane Debeusscher

Le projet Apicoltura conçu par Marco Maria Giuseppe Scifo est destiné à se déployer en plusieurs phases successives, chacune fixant momentanément un état de la recherche menée par l’artiste sur le sujet abeille. La proposition de Scifo pour la Galerie du Tableau s’inscrit donc dans le cadre d’un projet global dont les multiples facettes n’ont pas encore toutes été dévoilées. Chaque étape ou hypothèse créative formulée n’en possède cependant pas moins une autonomie et une consistance propres.
Au-delà d’une fascination pour la combinaison «couleur et mouvement» qui caractérise à son sens le spectacle des abeilles dans la ruche, Marco Maria Giuseppe Scifo envisage sa recherche selon une perspective plus complexe, nourrie par des observations sur la fonction ou, pourrait-on même dire, la «mission» des abeilles et de leur société à l’intérieur du grand cycle animal et végétal. Clé de voûte d’un équilibre naturel, l’abeille incarne un principe de régulation et de dissémination essentiel, se faisant à la fois réceptacle, véhicule, producteur autosuffisant nourri de sa propre production – le miel.
La complexité de ces états et leur articulation à l’intérieur d’un système social prodigieusement architecturé ont alimenté une réflexion importante au sein du parcours de Scifo et de sa pratique artistique.
Pour l’exposition marseillaise, l’artiste a conçu un espace volumétrique inédit, inscrit à l’intérieur de la Galerie du Tableau pour en former une « doublure » qui épouse ses proportions. Deux grands dessins, matière et poudre de graphite sur papier, sont enclos dans une structure qui stoppe, enferme le trait et les surfaces remplies, soulignant le caractère fragile et temporaire de ce que l’artiste identifie comme un « parcours graphologique visuel ». La strate de plexiglas recouvrant les dessins, de même que les cadres en bois qui les délimitent, leur offrent à la fois une protection et des conditions de mise en visibilité particulières. Ces notes ou appunti – pour reprendre un terme italien qui véhicule avec justesse l’idée d’arrêt, de fixation d’une connaissance par l’écrit, la graphie – décrivent minutieusement les abeilles dans leurs alvéoles, ainsi que les apiculteurs, reconnaissables à leur couvre-chef engazé. En suspension devant les œuvres graphiques, des haut-parleurs diffusent un son discontinu qui renvoie aux abeilles. En raison de la circulation aléatoire du son entre un orifice et un autre, la trace audio elle-même, par ses modalités de diffusion dans l’espace, ménage un parcours spatial fluctuant. D’une référence concrète, d’un corps réellement existant – les abeilles – naît un objet abstrait, volatil, dont la nature pourrait être comparée à celle du son des haut-parleurs, qui demeure fuyant et imprévisible. La combinaison des dessins et de la structure sonore confère toutefois à l’installation une plasticité tridimensionnelle et même quadridimensionnelle, dès lors que le facteur temps s’impose comme un élément déterminant dans la perception de l’œuvre.
Apicoltura formule donc la présence d’un espace impalpable mais enveloppant, un volume plastique invisible qui se dessine en creux à l’intérieur de la configuration cubique de l’espace d’exposition, par le biais d’indices graphiques et sonores qui s’avèrent totalement indissociables. L’installation se développe à partir d’une énergie centrifuge, une logique de dissémination subtile d’éléments qui investissent l’espace de la galerie pour former une nouvelle peau, une architecture virtuelle. Cette architecture est perceptible par l’expérience simultanée du visuel – le dessin et son importante structure de mise en représentation – et du sonore – le bourdonnement des abeilles – dont le support technique est volontairement laissé visible.
La séparation entre l’espace contenant et son contenu constitué des matières audibles et visibles qu’il renferme se fait ténue, dans un jeu constant entre intérieur et extérieur, enveloppe et composants internes.